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Dans la bibliothèque du couvent des Cordeliers

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Un chantier de recherche de provenances entamé à la Bibliothèque, un ouvrage historique conçu par nos collègues de Nancy Musées et la Société d’histoire de la Lorraine, deux raisons d’étudier la bibliothèque du couvent des Cordeliers, intimement liée à la Maison de Lorraine1.

Brève histoire de la bibliothèque du couvent des Cordeliers

Le nécrologe des cordeliers rend précisément hommage au fondateur du couvent, le duc René II, pour la dotation d’un certain nombre d’ouvrages, notamment les magnifiques livres de choeur2.  Au xviie siècle, la bibliothèque est déjà notable, comme le montre le guide touristique et historique du père Jacob : « Dans le convent des Religieux de l’Observance de S. François de Nancy est conservée la très splendide bibliothèque des Ducs de Lorraine, depuis un long temps : la quelle est abundante en bons et rares livres, qui y ont esté mis avec de grands soins. On y void aussi quelques manuscrits »3. On sait qu’en 1611, maître Pierre Lancelot, maçon en la Ville-Neuve, reçut 154 fr. pour la confection de vingt-huit fenêtres.4.

Une salle d'archives, à gauche des fenêtres en berceau, à droite un chartrier, au milieu une table de travail et un siège
Le chartrier idéal du frère Vuillemin ? (ms. 380 fol. 72).

Dans un manuscrit du père Vuillemin à la fin du xviiie siècle, nous avons une petite représentation d’un local d’archives, dans lequel on aimerait bien voir l’illustration des locaux de conservation des cordeliers. En termes de mobilier, on sait aussi que la bibliothèque comportait, outre des armoires, un bureau, des échelles et un globe terrestre « de Jansen », dans lequel on ne manquera pas de reconnaître un globe de Blaeu. Ces informations nous sont données par les inventaires révolutionnaires, le premier réalisé par Willemet, Crampel et Lejeune le 5 février 1790 :

« Le vaisseau de la bibliothèque des pères Cordeliers est fort beau, bien éclairé, bien boisé, parqueté et plafonné. Ses livres, enfermés dans seize armoires closes par des châssis de fil de fer et par des serrures sont bien entretenus et bien soignés. Cette bibliothèque renferme plusieurs ouvrages de chaque classe ou faculté bibliographique, beaucoup dans la classe de Théologie, moins en proportion dans les autres classes savoir Jurisprudence, Belles-lettres, Sciences et Arts et Histoire. Plusieurs ouvrages sont incomplets, plusieurs réputés bouquins, il n’y aucun manuscrit rare et de prix. (…) Total des volumes de tous les formats : 4500. »((Arch. dép. de la Meurthe-et-Moselle 1 Q157/Cordeliers/ p. 6.)).

Le second, réalisé en 1793, est un inventaire détaillé de la bibliothèque, avec la liste des 3658 volumes alors subsistant. La bibliothèque reste en place au couvent jusqu’à fin 1793, date à laquelle elle est transférée au dépôt littéraire à l’université. Aucun manuscrit n’y est mentionné. Justin Favier dans son article de synthèse sur les saisies révolutionnaires dans les couvents de Nancy, rappelant ces événements, précise que peu d’exemplaires des cordeliers ont été conservés, car ils ont été déménagés tardivement. S’ils faisaient doublon avec des ouvrages déjà entrés dans les collections, ils étaient éliminés5. En effet, un seul ex-libris des cordeliers a été trouvé parmi les 150 premiers titres de l’inventaire testés au catalogue de la bibliothèque de Nancy dernièrement.

Le contenu de la bibliothèque

Les franciscains entretiennent un rapport ambigu au savoir6. Au cours de l’époque moderne s’opère chez les cordeliers un renversement dans la valeur des études livresques et de l’importance de la lecture. La figure de saint Bonaventure, premier franciscain docteur en théologie, est ainsi portée au pinacle, au détriment même de la pauvreté prêchée par François d’Assise. Nancy, couvent d’étude en philosophie et théologie, détient une bibliothèque pour l’apprentissage de la prédication. La formation y dure entre 2 et 5 ans selon le cursus poursuivi par les meilleurs étudiants franciscains.

A ce titre, la théologie se taille évidemment la part belle dans le contenu des collections (54 %). Selon André de l’Auge, dans La Sainte Apocatastase (Paris, Fouet, 1623),

« Le couvent de Nancy est l’un des séminaires de ceste Province, où pour les aumonsnes journalières [du duc], [Son Altesse] entretient grand nombre de religieux pour estre instruicts ès sciences saintes et divines, afin de tirez des flancs de ceste Académie comme d’un Cheval troyen, ils se répandent en divers lieux, places et provinces, pour par leurs escripts et prédications combattre généreusement le vice et l’hérésie. »

On y trouve des ouvrages de controverse, ainsi des œuvres de Jean Calvin. La bibliothèque des cordeliers est une bibliothèque de travail, les pères doivent y trouver de quoi nourrir leur prédication. La connaissance de l’ennemi, soit le protestantisme sur la dorsale catholique, est indispensable.

Page de titre des Sermons de Jean Calvin sur Job
Sermons de M. Jean Calvin sur le livre de Job, A Genèvre, Jean de Laon pour Antoine Vincent, 1563 (cote 155 499).

Il est intéressant de constataient que les cordeliers détenaient également des ouvrages profanes, scientifiques, artistiques, philosophiques, juridiques mais aussi qu’ils lisaient Martial et Flavius Josèphe.

Les modalités de prêt des ouvrages sont décrites : il faut l’autorisation du supérieur, faire une demande expresse au bibliothécaire, et s’inscrire sur un registre. Au xviiie siècle se développe la pratique des ouvrages ad usum, qui sont appropriés individuellement par des frères. Ce sont des supérieurs, des membres de l’encadrement du couvent, qui disposent de ce privilège. Ainsi frère Alexandre Collin qui privatise une histoire de l’Ancien testament en 1763, « cum licentia superiorum ». Ne serait-ce point également parce qu’elle est signée de Robert Arnauld ?

Page de titre de l'Histoire de l'Ancien testament par Arnauld
Robert Arnauld d’Andilly, Histoire de l’Ancient testament tirée de l’Ecriture sainte, Paris, P. Le Petit, 1675 (cote 101 524).

Les livres de choeur des cordeliers7

Les volumes sont reliés sur ais de bois, couverts de veau estampé à froid, et rehaussés de fermoirs en fer, de clous, et de bandes de laiton pour en assurer la solidité. Ils pèsent entre 13 et 15 kg chacun.

Le graduel, manuscrit musical utilisé pendant la messe, présente une année lissée qui commence au 1er dimanche de l’Avent, Pâques est fixé au 3 avril, et se termine à la saint André. Il comporte différents décors : lettres bicolores dues au rubricateur, lettres gothiques à la plume, dues au copiste et 6 lettres peintes : roi David, Adoration des bergers, Adoration des mages, Résurrection, Ascension, Pentecôte. Il est enrichi de directives écrites en plus petits caractères pour certaines fêtes : procession des Rameaux, les offices de la Semaine sainte, ici l’office de la croix le vendredi saint.

Dragon en forme d'initiale S sur fond rouge
Initiale S en forme de dragon, ms. 437 (4) p. 24.

L’antiphonaire, qui regroupe les incipits de chants des offices (des heures) est en 3 volumes. Son commanditaire est facilement identifiable : il s’agit de René ii. Cependant, les circonstances de la commande, de la rédaction et de la livraison, ainsi que les noms des copistes et décorateurs ne sont pas connus. On remarque une très grande variété dans les types de décor des lettrines : gothiques en grisaille ou camaieus, et encore des lettres peintes pour les grandes fêtes : Annonciation, Visitation, Nativité, Présentation etc.

Les épisodes importants de la théologie franciscaine sont évoqués par des lettres historiées comme ce Jésus enseignant qu’on peut rapprocher de l’image de Bonaventure. Evidemment une place d’honneur est réservée aux saintes et saints franciscains. Sainte Claire d’Assise, et les mémoires qui lui sont liées, occupe une place toute particulière dans l’antiphonaire franciscain. Et, à tout seigneur tout honneur, saint François d’Assise lui-même est fêté et représenté avec très grand soin, et l’évolution de la liturgie est patente à son propos.

sainte Claire d'Assise dans une initiale P
Lettrine P avec une sainte Claire en grisaille, ms. 437 (3) p. 278

Les décors de l’antiphonaire sont inépuisables dans le bestiaire et la botanique, et le mieux est de les découvrir par soi-même sur Limédia Galeries. On peut cependant attirer l’attention de notre lectorat sur de petits aperçus de la vie des frères au couvent. Outre des petits frères cachés  ça et là dans les lettrines ou les fleurs, on voit pour la fête du saint Sacrement une assemblée franciscaine autour d’un autel dans lequel Simone Collin suggérait de voir une représentation de l’autel des cordeliers au temps de René ii.

Des frères cordeliers autour d'un autel
Fête du Saint Sacrement, ms. 437 (3) p. 103.

Une rupture stylistique importante est constatée dans le 3e volume. Simone Collin émet l’hypothèse que les volumes ont été remplacés, à une époque indéterminée, par des antiphonaires imprimés, mais qu’on les a réutilisés au xviiie siècle. À ce moment, en raison de modifications qui avaient eu lieu dans la liturgie franciscaine, les pages ont été grattées et lavées pour être actualisées sans avoir à se lancer dans la confection d’un nouvel antiphonaire.

La provenance Cordeliers de Nancy dans les collections patrimoniales

Plusieurs manuscrits de nos collections ont un auteur cordelier. Il s’agit essentiellement de manuscrits historiographiques signés de grands franciscains lorrains, et qui ont entretenus des liens étroits avec la famille ducale. Au premier rang de ceux-ci figure Jean d’Aucy, dont l’Epitomé offert à Charles iii donne son nom à notre carnet de recherches. Son successeur au xviie siècle, y compris dans les égarements historiques, est Jacques Saleur, l’auteur de La Clef ducalle…

Aubert Roland, au xviiie siècle, revient précisément sur la figure fondatrice du duc René et celle de sa femme, Philippe de Gueldres avec des méthodes beaucoup plus critiques. Claude-Robert Husson, définiteur général de l’ordre franciscain, s’illustre autant dans la dévotion que dans l’histoire avec son fameux éloge historique de Jacques Callot. Enfin le père Vuillemin, bibliothécaire et polygraphe, s’intéresse à la science et à l’histoire du couvent.

Cependant ces oeuvres manuscrites ne font pas partie des saisies révolutionnaires. Propriété privée de leur auteur, ou déjà données avant la Révolution, elles sont entrées dans les collections municipales bien postérieurement, par dons  ou par achats. À l’heure actuelle, seulement 7 ouvrages figurant à l’inventaire de la bibliothèque des Cordeliers de 1793 ont été indubitablement identifiés dans les collections patrimoniales.

Le chantier d’identification des saisies révolutionnaires a été ouvert en 2022 grâce au stage de Manon Rabillard, élève de deuxième année à l’École nationale des Chartes. Cinq communautés religieuses de Nancy ont été entièrement traitées (Chapitre primatial, Dominicains, Augustins, Visitation et Refuge), établissant l’identification formelle de 208 titres sur un ensemble de près de 4000 figurant dans les inventaires, soit un taux de conservation de 5,2 % pour ces communautés. Pour les Cordeliers, comme le soulignait Justin Favier, les premiers tests sont bien en-deçà de ce taux (1 pour 150). L’enquête est donc à poursuivre.

  1. Cet article est la retranscription de la conférence donnée à la Bibliothèque Stanislas le 11 octobre 2022
  2. « librariamque omnium facultatum voluminibus mandans ornari » Pierre-Étienne Guillaume, Cordeliers et chapelle ducale de Nancy, Nancy, France : chez Peiffer, 1851, 279+lxiv. Lire en ligne.
  3. L. JACOB, Traicté sur les plus belles bibliothèques..., t. II, p. 436.
  4. P.-E. Guillaume, Cordeliers et chapelle…, p. 15.
  5. Justin Favier, « Coup-d’oeil sur les bibliothèques des couvents du district de Nancy pendant la Révolution : ce qu´elles étaient, ce qu´elles sont devenues », Mémoires de la Société d´Archéologie lorraine, 1883, p. 60.
  6. Je m’appuie ici sur le travail de Fabienne Henryot, Livres et lecteurs dans les couvents mendiants: Lorraine, xviexviiie siècles, Genève : Librairie Droz, 2013, 562 p. Sur le rapport des cordeliers aux manuscrits, Fabienne Henryot, « Le livre en héritage : les religieux mendiants face aux manuscrits médiévaux au xviie siècle », Lire en ligne
  7. L’article de référence sur ces livres reste Simone Collin-Roset, « L’antiphonaire des Cordeliers de Nancy (Nancy, Bibliothèque municipale, manuscrits 22, 23, 24, 25 anc. 437). Etude codicologique et iconographique », Lotharingia, X, 2010, p. 49‑80. Attention, le titre de l’article comporte une erreur de cotation : les 4 livres de choeur sont bien regroupés sous la cote ms. 437 (1-4), (1) correspondant au graduel et (2-4) à l’antiphonaire.

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